Car j'étais sur la route toute la sainte journée -
Lorsque Gabrielle avait raccroché, elle avait explosé de rire, un rire nerveux. Elle était parvenue à se retenir tout le long de l'appel, mais là, c'était tellement étrange qu'elle en riait. Mais à côté, elle était intriguée. Elle ne savait pas trop ce que cela pouvait donner. Haussant les épaules, elle avait continué son après-midi comme si de rien n'était, non sans une boule de curiosité et d'impatience.
Pendant de longues minutes, la rouquine était comme bloquée face à son miroir de salle de bain. Le rire était passé, maintenant, elle était vraiment intriguée. Elle se demandait s'il allait la lui faire en l'envers en lui sortant une ration de survie ou un plat tout prêt. Ou pire encore, il demanderait à quelqu'un de préparer le repas pour lui et se faire passer pour le chef. Et puis, quand bien même il cuisinerait lui-même... n'allait-il pas se couper ou se brûler ou même exploser sa maison. Non, vraiment, Gabrielle ne savait pas. Alors elle avait préparé un repas complet qu'elle avait mis au frigo, juste au cas où cela tournerait mal.
Une fois prête, elle se décida à sortir de chez elle. Elle avait nourri les chiens, ils pourraient rester calmes quelques heures (du moins, c'était ce que Gabrielle espérait, surtout pour Heko). Elle n'avait pas beaucoup de chemin à faire et elle n'eut même pas à toquer. La porte ouverte était clairement signe d'invitation à rentrer. La maître-chien put entendre une musique et elle la suivit jusque dans la cuisine où elle signala sa présence en passant simplement sa tête dans l'ouverture.
Très bon choix, comme toujours.
Elle souriait mais tenta quand même de jeter un coup d'oeil à ce que le gouverneur préparait.
Car j'étais sur la route toute la sainte journée -
L'art de se défendre avec une cuillière en bois par Beal Rockefeller. Un léger rire s'échappa des lèvres de la rouquine. Elle apparut en entier dans l'encadrement de la porte. Elle fut un peu surprise de le voir sans son cache-oeil, mais n'en fit rien. Après tout, cela devait être pénible à la fin de toujours porter quelque chose sur son oeil. De toute façon, il ne voyait rien, avec ou sans. Il avait l'air surpris de la voir.
Je n'allais quand même pas venir à minuit, tu sais.
Il lui demandait d'attendre dans le salon. Etait-il gêné de sa présence dans la cuisine ? Très certainement. Et à présent, il cherchait les chiens. Chiens que l'Irlandaise avait laissé dans la maison d'à côté.
Je leur ai donné leur soirée. Il n'y a que toi et moi ce soir.
Les mains derrière le dos, Gabrielle souriait doucement. Elle tourna alors le dos au Gouverneur.
Bon, comme tu le souhaites, si tu me cherches, je serai au salon, j'ai hâte de voir le résultat.
Et elle quitta la porte, pénétrant dans le salon. Un salon sobre, sans décoration. Elle ne s'installa pas, préférant rester debout. Elle faisait le tour de la pièce, bien qu'elle la connaissait déjà par coeur.
Car j'étais sur la route toute la sainte journée -
Même si elle n'était pas proche de la cuisine, Gabrielle faisait attention à tout ce qui pouvait en provenir. Un bruit, une senteur, une vision de fumée noire. Elle n'arrivait pas à déterminer ce que Beal préparait, mais elle pouvait sentir que ce n'était pas en train de brûler.
Elle avait fini par s'asseoir parce qu'elle n'avait rien trouvé d'autre à faire. Si elle avait amené les chiens, elle aurait pu trouver une occupation, mais comme ils n'étaient pas là, cela changeait la donne.
Elle se redressa légèrement en voyant Beal sortir. Elle acquiesça avec un simple sourire avant de se remettre dans le canapé. Les mains sur ses jambes, ses doigts pianotaient ses cuisses. Elle ne savait pas quoi faire et elle sentait le stress de la dégustation monter. Finalement elle craqua et s'empara de la télécommande pour allumer la télévision.
Elle n'eut même pas à zapper pour trouver la chaîne des informations internationales. Beal devait souvent la consulter. La rouquine suivit avec attention les différents titres, les brèves qui défilaient en bas de l'écran. Comme toujours depuis quelques temps, on ne parlait que du projet. Gabrielle poussa un profond soupir.
Ils pourraient tout aussi bien nous laisser vivre en paix un peu...
L'Irlandaise appuya sur le bouton pour changer de chaîne. Une chaîne de débat. Le thème du jour la laissa sans voix : Gabrielle Cooper, vérité ou imposture ? Elle pouvait admirer en permanence un diaporama de photographies d'elle durant son voyage au Qatar notamment. Sur le plateau, différents intervenants qui discutaient d'un point de vue ou d'un autre. La rouquine était choquée et ne pouvait quitter l'écran des yeux.
Car j'étais sur la route toute la sainte journée -
Les sourcils de Gabrielle étaient froncés alors qu'un homme qui se disait psychologue tentait de prouver qu'il était impossible que la rouquine puisse avoir une relation autre que professionnel avec le Gouverneur Rockefeller. Il était impressionnant de voir à quel point un homme qui se disait scientifique pouvait sortir un nombre impressionnant de bêtises à la phrase.
La voix de Beal la sortit de son émission. Elle tourna son regard en sa direction, hochant simplement la tête. Elle ne comprenait vraiment pas cet engouement, comme s'il fallait absolument détecter la moindre erreur, les moindres faits et gestes. Peut-être que c'était normal, mais elle ne le comprenait quand même pas.
La télécommande lui fut prise des mains, la télévision fut éteinte, un baiser fut déposer sur son front. Gabrielle étira un sourire avant de suivre le général des yeux.
Tu as du jus de kiwi ?
Fidèle à elle-même, Gabrielle ne buvait pas d'alcool, ou vraiment très peu dans les grandes occasions. La rouquine se releva alors pour s'approcher de son hôte.
Car j'étais sur la route toute la sainte journée -
Elle leva les yeux au ciel en secouant la tête. Au final, elle avait quand même son verre.
C'est l'homme qui va se servir la boisson qui a probablement l'odeur la plus repoussante qui fait cette remarque. Tu dis ça, mais tu as une bouteille dans ton bar. Tu devrais essayer, c'est très bon pour la santé en plus.
Elle savait par avance qu'il allait prendre du scotch. C'était tellement prévisible en même temps. Elle prit une gorgée de son jus de fruit. C'était vraiment un très bon jus de fruit. L'un de ses préférés. Elle voulut en prendre une nouvelle mais la remarque de Beal l'interrompit. Elle manqua de reverser le contenu du verre un peu partout. Par chance, elle s'était arrêté à temps et éloigna le récipient de sa bouche.
Mais je ne demande qu'à voir ça ! La prochaine fois, tu sais ce que tu porteras. Je suis sûre que ça t'irait parfaitement en plus. Tu pourrais même faire craquer Ervin.
La rouquine esquissa un sourire malicieux. Dans sa tête, elle tentait de s'imaginer son compagnon dans une robe léopard. La seule réaction qui lui paraissait légitime était l'éclat de rire. Peut-être même le fou rire. Du moment qu'il ne se présentait pas comme ça au monde entier, tout irait pour le mieux.
De là où elle était, la maître-chien pouvait sentir l'odeur du scotch. C'était vraiment une boisson qu'elle n'appréciait pas, surtout par son odeur. Dire que Simon avait aussi l'habitude de la consommer. Elle esquissa une petite grimace avant de revenir à la question de Beal.
Ca dépend des personnes. Alexia m'a crié dessus de ne pas lui avoir dit, mais elle est quand même contente. Certains collègues me regardent étrangement et hésitent à parler quand j'arrive, comme s'ils avaient peur que j'amplifie leurs propos et que je te raconte tout. Je crois que certains pensent que je ne mérite pas tout ça mais je ne fais pas très attention. J'ai reçu quelques lettres étranges, mais elles ont vite fini à la poubelle. Je ne comprends pas trop ce genre de comportement, mais je pense que c'est parce que c'est le début et que cela va passer.
C'était un peu comme la princesse Diana. On l'avait souvent critiquée et mal jugée. Bon, l'exemple n'était pas vraiment le meilleur, vu comment tout ceci s'était terminé, mais c'était partout pareil quand on touchait aux hautes autorités.
Car j'étais sur la route toute la sainte journée -
Je n'en doute pas, mais je pense que ça va passer. Tu as d'autres choses à te préoccuper.
Elle n'avait pas envie de Beal s'emporte pour si peu. S'énerver ne ferait qu'engrenger plus de haine envers le gouverneur. Gabrielle pouvait encaisser les remarques blessantes, ce n'était vraiment pas un problème.
La rouquine garda son verre en main, mais elle ne buvait plus. A la place, elle réfléchissait aux questions qu'il venait de lui poser. Cela faisait beaucoup de questions en une seule fois. Des questions sur le même sujet, heureusement.
Ai-je vraiment le choix ? Je veux dire... J'aurais aimé avoir un peu plus de temps à passer avec toi sans tout ça et puis aussi pour me faire à l'idée et pour me préparer mentalement avant de devoir m'afficher aux yeux du monde entier mais c'était pour le projet... Je ne vais pas te dire que je suis confiante par rapport à ça. J'ai peur de faire une bêtise et de ne pas correspondre à ce que les gens attendent d'une compagne de gouverneur... à ce que TU attends de moi... Mais c'est sûrement une question de temps, je vais m'habituer.
Gabrielle souriait faiblement. Elle se souvenait de sa crise quand Beal lui avait appris qu'ils devaient partir pour le Qatar pour qu'elle soit présentée officiellement à plus de sept milliards de personnes. Elle n'avait pas pour habitude d'être le centre de l'attention. Elle préférait rester discrète et faire sa petite vie tranquillement. Elle n'avait pas ce don de diriger les autres et elle ne se trouvait pas spécialement bonne oratrice.
La dernière question lui fit froncer les sourcils. Elle était étrange. Elle ne savait pas si elle la comprenait bien déjà. Sa manière de se comporter par rapport à quoi ? Par rapport à lui-même et à ses agissements en géneral ? Ou bien par rapport à leur relation ? Elle était plutôt confuse pour le coup.
Te comporter... Tu es toujours le même, Beal... Tu n'as pas changé, tu le sais ? A part peut-être maintenant, parce que tu me poses cette question étrange et que je ne comprends pas pourquoi tu fais ça... Te comporter par rapport à quoi déjà ?