Crack. D'un geste rapide, il ouvrit la canette et la porta à ses lèvres pour en avaler une gorgée, au milieu de volutes de fumée grise à l'odeur de tabac. Une bière à la main, sa cigarette déjà à moitié consumée dans l'autre, il était assis sur le bord creux d'une fenêtre, laissant sa jambe se balancer dans le vide. Il observait l'extérieur qui commençait à s'assombrir, et jetait de temps en temps un coup d'oeil au gamin qu'il avait fait venir ici.
Plus tôt dans la journée, il avait constaté que les locaux du stade n'avaient pas été nettoyés depuis quelques temps : on aurait cru qu'un ouragan était passé par-là. Poussiéreux et bordélique. Et puisque ce gamin avait voulu faire son malin en exécutant des prises de kung-fu sur lui, il avait décidé que ce serait lui qui s'occuperait de tout ceci. Il fallait bien que quelqu'un nettoie ; et ça lui ferait un peu d'exercice. Il avait pris soin de lui apporter un seau, une serpillère, et le regardait travailler en grillant tranquillement sa clope.
Il tendit alors le bras et laissa tomber ses cendres sur le sol, le regard braqué sur l'élève, d'un air pensif. « Tu t'en sors mon gars ? » questionna-t-il d'un air désintéressé. Pour sûr, il en avait encore pour un long moment à tout ranger.
Et on frotte, on frotte, on frotte avec force. Sérieusement, Mats se demandait encore comment il en est arrivé là, à nettoyer les vestiaires du stade de fond en comble. Tout le monde sait que c'est le lieu le plus sale après les toilettes. Normalement, c'est au concierge de faire son satané boulot. Et bah non. Mats était de corvée. Grâce à qui ? Neils Archer, bien évidement. Et pourquoi ? Faites une démonstration de kung-fu à des incapables, donner un coup violent dans la gueule de ce colonel qui passait par là juste par pur hasard, hein, et voilà où on se trouve. Laver, décrasser, désinfecter, désintoxiquer ... Mats versus Blanche Neige moderne. Alors voilà, depuis une heure, Mats lavait. Ça le saoulait profondément, il avait autre chose à foutre que ça.
La question du colonel le faisait soupirer. Il tourna sa tête vers sa direction avant de remarquer les cendres de sa clope au sol. Bordel, j'viens de laver ici, du con.
▬ Si vous foutiez pas vos mégots sur le sol, j'irai largement plus vite.
Car mine de rien, ça faisait chier Mats. Le jeune homme s'approcha des cendres pour passer un coup de serpillière dessus, chopper les cendres, les foutre ailleurs et relaver au même endroit.
On voyait bien que ça le faisait chier, en tout cas il ne cachait pas son agacement malgré la présence du colonel. Neils le regarda longuement, mordillant le philtre de sa cigarette, et lorsqu'il s'approcha de lui pour nettoyer les cendres qu'il avait laissé tomber, il profita de la proximité pour lui donner un petit coup de pied dans la tête.
« Parle sur un autre ton, gamin. » Même si Neils n'était pas son supérieur direct, il le serait à la fin de la formation du jeunot et celui-ci ne devait donc pas oublier à qui il avait affaire. « C'est quoi ton nom ? » Histoire qu'il se souvienne de lui, des fois qu'il ferait encore des conneries ou qu'il ait déjà une réputation qui le suive. On ne sait jamais.
Mais il était pas gêné à lui foutre un coup dans sa tête. Quoi que, en tant que colonel, il avait beaucoup de droit sur Mats ... Alors ce dernier ne pouvait que se plaindre, on s'en ficherait totalement. Le jeune homme frottait son crâne pour faire partir rapidement la douleur, heureusement qu'il avait contrôler sa force ... Sinon ... Il aurait bouffé la serpillre de force
Tiens ? Il s'intéressait à Mats maintenant ? C'est nouveau ça. Bref, se relevant tout en tenant sa serpiellère de sa main gauche, il fixait Archer d'un air las.
▬ Mats Ek.
Il n'avait aucune raison de cacher son identité, de toute façon on ne pouvait rien cacher au projet. Bref, Mats retourna à sa tendre et douce corvée, il se mettait à laver les bordures de la fenêtre, remplies de bêtes, de poussière. Neils lui barrait le chemin à s'être installé en homme pénard.
▬ Si vous ne vous ... "décalé" pas, j'suis pas prêt de finir avant la nuit.
Et encore, décalé est un petit mot, cependant il fallait tout de même contrôler son langage face à cet homme, de peur de se prendre le seau remplie d'eau sale dans la gueule.
Neils fronça les sourcils face au regard que lui lançait l'élève. Ce dernier se contenta de répondre sèchement à sa question en lui donnant son nom, sans fioriture. Matsèque. Matsèque ? C'est quoi ce prénom débile ? Neils haussa un sourcil tout en tirant sa cigarette de ses lèvres pour recracher la fumée de ses poumons. Au même moment, le gamin commençait à faire chier en essayant de nettoyer pile à l'endroit où Neils était assis, alors qu'il avait encore toute la salle à ranger.
« T'occupe pas de ça, c'est pas urgent, va ranger ce bordel plutôt. »
Le gradé plaqua sa main sur le visage du môme et le poussa pour qu'il s'éloigne, avant de reprendre une gorgée de sa bière. Sa tête bascula légèrement en arrière pour se poser contre le mur et il esquissa un léger sourire énigmatique.
« Bon, Matsèque. Qui a eu l'idée de t'affubler d'un prénom aussi pourri ? Et ton nom de famille ? » Il lui faisait effectivement subir un interrogatoire. Non pas qu'il s'intéresse réellement à lui, mais il préférait lui faire la conversation que le regarder faire la boniche en silence.
Mais il était chiant, si Mats voulait laver là, il lavait là et point final. Mais non, monsieur poussait la tête du jeune homme pour qu'il s'éloigne d'ici. Génial, espèce de gros flemmard. En parlant de bordel ... En effet, y'avait quand même un paquet de chose à ranger. Il se dirigea vers le bordel jusqu'à ce que le colonel l'interrompe une nouvelle fois et cette fois, Mats s'arrêta net pour se retourner rapidement, les sourcils froncés et un soupir s'échappant de ses lèvres.
▬ Matsèque. N'importe quoi.
Ce n'était pas la première fois qu'on le nommait comme ça, plus de trois quart des personnes transformaient le prénom et nom de Mats pour n'en former qu'un seul. Un vrai foutoir mais en même temps, un nom de famille avec uniquement deux lettres ne court pas dans toutes les rues. Mats posait sa serpillière au sol avant de faire des gestes de la main, comme si il allait démontrer une formule avec son propre corps.
▬ Ek. Mats, espace, Ek. Mats, m-a-t-s est mon prénom. E-k est mon nom de famille.
Comme ça, il pouvait pas être plus clair. Enfin là, il le prenait un peu comme un con sans le vouloir, mais ça le saoulait tellement cette faute d'appellation. Mats retourna à son fouilli. Il fallait déplacer des bancs ici et là, encore faut-il savoir où les placer exactement ... Le jeune homme réfléchissait à la façon dont il allait ranger cette pièce, se trouvant dos au colonel.
▬ Depuis quand vous vous intéressez à vos élèves ?
« Ouais, Matsèque. » lâcha-t-il d'un ton railleur. L'air exaspéré du jeune homme était assez cocasse ; il faisait le malin alors que c'était lui qui était dans une situation incommodante. Neils expira lentement la fumée de ses poumons, jusqu'à la question fatidique de l'élève. Il était conscient que sa réputation avait persisté malgré le fait qu'il ait quitté l'enseignement.
« Depuis qu'ils ne sont plus mes élèves justement. Mais il serait plus correct de dire que je me soucie de l'avenir du projet, qui, finalement, sera entre vos mains quand vous prendrez notre place. »
À force de traiter les soldats en formation comme des sous-merdes, on avait trop tendance à oublier qu'ils étaient l'avenir d'EP. Eux-mêmes ne le réalisaient peut-être même pas au final. Laissant tomber à nouveau les cendres de sa cigarette sur le sol, il esquissa un fin sourire tout en tapotant du doigt la surface métallique de sa canette de bière.
« Moi aussi j'ai fait la boniche à ton âge. Alors arrête de faire la gueule, un soldat ne doit pas se plaindre. »
L'enflure. Qu'il aille se faire voir avec son Matsèque. Ça va le suivre toute sa vie, malheureusement. Enfin la réponse de cet homme n'était pas si stupide que ça dans le fond.
▬ J'me plains pas, j'ai déjà eu pire comme corvée.
Mats Ek ou l'élève perturbateur, malgré ses petits airs de génie. Enfin il aurait bien aimé faire de la lecture au lieu de laver et ranger les vestiaires de ce stade. Voyons l'état pitoyable de quelques bancs, le jeune homme se mettait à laver la crasse bien imprégnées.
▬ Et puis je connais l'importance que nous avons ici. Je ne suis pas comme tous ces touristes venant de droite à gauche du monde en total incompréhension sur leur venue ici.
Mats est né sur EP, alors il savait que le projet était important, à un point inimaginable.
Bien sûr qu'il avait eu pire. Neils n'avait pas été trop mauvais pour cette punition, il savait jusqu'où pouvaient aller les corvées données aux élèves et il savait que cela n'était pas grand chose. Souvent, les jeunes qui arrivaient ici en espérant la garantie d'un confortable train de vie voyaient arriver la désillusion aussitôt qu'ils foulaient le sol de l'île.
Tout en écoutant ce que disait le môme, gardant sa cigarette entre ses dents, Neils observait d'un air évasif sa main bionique, bougeant doucement les articulations de ses doigts. Les mots que prononçaient le jeune semblaient amers, au-delà de la simple frustration d'être là, à faire la boniche.
« Et tu viens d'où au juste ? » Il y avait comme une prétention dans ses propos. «Moi, je ne suis pas comme les autres». Une envie de se démarquer qu'il connaissait bien. « Aurais-tu la prétention d'être meilleur que les autres, petite boniche ? » questionna-t-il, le sourire aux lèvres, en relevant son regard, un regard curieux, vers lui.
Contrairement aux idées reçues, Neils s'intéressait à ses anciens élèves et s'y était toujours intéressé. Il cherchait parmi eux les perles rares, les êtres capables d'atteindre les sommets, et pour cela il leur accordait une attention toute particulière.
Terminant de laver plusieurs bancs sans y passer trop de temps, Mats porta son attention sur le colonel en tourna sa tête vers sa direction, il répondait d'une façon la plus naturelle et banale qui soit.
▬ Experimental Project 2.
Le jeune homme retourna à son occupation. Il rangeait les bancs propres vers le fond de la salle avant de s'attaquer aux casiers ... Pire que dégueulasses. Mais fallait bien passer par là. Avec une autre serpillière plus propre, Mats débuta le décrassage.
▬ Ouais et non. J'vous signale que la boniche s'appelle Mats.
Pour éviter le Matsèque. Meilleur que les autres ? En parti oui, car il a été formé depuis tout petit pour ce projet. Dès qu'il est né sur cette terre, son avenir était déjà tout tracé, il ne pouvait pas refuser ça.
Frottant doucement le porte d'un des casiers, lentement mais sûrement, Mats fixait bêtement l'objet qu'il lavait, ses lèvres bougeant légèrement avant de lâcher quelques mots.
▬ Et vous ? Quand vous êtes arrivés ici, vous vous prétendiez meilleurs que les autres ? Ceux qui avaient peur de mourir à n'importe quel moment pour le projet ?
Tiens donc, il venait d'EP-2. Au vu de ce qu'il lui avait dit précédemment, il s'attendait à ce qu'il vienne d'un pays aux conditions de vie difficiles. Passons. Bien sûr, le gamin revint à la charge à propos de son prénom, visiblement contrarié qu'on ne l'appelle pas par celui-ci. Ce môme avait du caractère. Trop de caractère.
« Relax Matsèque, pète un coup et ça ira mieux. »
Et surtout, n'oublie pas à qui tu t'adresses. Neils avait beau parler familièrement à ses anciens élèves, il n'en était pas moins un haut gradé et ne tolérait pas le manque de respect. Il n'était pas bien difficile pour lui de rappeler à l'autre qui est le patron.
Il tira sa cigarette de ses lèvres, en même temps que l'élève se permettait de le questionner, et écrasa le mégot contre le bord de la fenêtre avant de le laisser tomber sur le sol. Il se leva et étouffa la braise sous sa semelle, toujours sa bière à la main.
« C'est moi qui pose les questions ici. » lâcha-t-il sèchement avant de reprendre une gorgée de sa boisson. Il s'approcha du jeune, posa sa main bionique sur son épaule et le retourna brusquement pour lui faire face, l'obligeant à abandonner sa manoeuvre. « Tu crois peut-être, comme beaucoup, que j'ai toujours été le meilleur dans tous les domaines et que je méprisais déjà mes camarades de l'époque ? Voire même que je suis né avec ce bras bionique ? » demanda-t-il sur le ton de l'ironie. Il connaissait parfaitement la chanson et c'était toujours amusant d'entendre cette rengaine.
Bon ... Il fallait y aller mollo avec ce mec. Mats n'a pas tendance à se contrôler par moment, violent dans ces gestes et ses paroles ... Là, il était face à son colonel, le respect avant tout ... Même si il avait l'impression de se faire passer pour un con avec lui. L'impression ? Mh.
▬ J'sais pas, j'vous connais pas assez pour répondre à votre question. C'est pour ça que je l'ai posé.
Ah, curiosité, gros défaut mais très utile par moment. Mats secoua son épaule pour qu'Archer puisse le lâcher et le laisser continuer à faire sa corvée.
Frotter, frotter et encore frotter, voilà trois casiers lavés et propres comme tout.
▬ On vous connait comme étant une mauvaise personne pour certains, une bonne pour d'autres. Un héro, un satyre etc ... Pour moi, actuellement ... C'est ni l'un, ni l'autre car j'ai jamais eu affaire à vous personnellement.
Neils avait conscience de sa réputation de débauché malgré son sérieux et ses capacités. Le fait de l'entendre de la bouche d'un élève était assez comique. Il avait beau avoir fait des prouesses dans l'armée, il demeurait un dépravé caractéristique aux yeux des autres. Funny. Le jeune n'émit pas d'avis subjectif en expliquant qu'il n'avait tout simplement jamais eu affaire à lui.
« Ça viendra, t'inquiète pas pour ça. »
Mais il n'en dirait pas plus. Sur ce qu'il avait vraiment été par le passé notamment ; tout le contraire de ce à quoi on pouvait s'attendre de sa part. Lorsqu'il voulut reprendre une gorgée de sa bière, rien ne sortit de la canette. Vide. Il regarda à l'intérieur en fronçant les sourcils, et broya l'objet métallique dans sa main avant de le jeter par terre aux pieds de Mats, et prit la direction de la sortie.
« Je dois y aller, je te laisse finir de nettoyer. Et n'essaye même pas de partir avant d'avoir terminé. » Pas moyen de rester moisir ici toute la nuit pour lui.
Ahan. Ca ne l'inquiétait pas non plus, il n'était pas pressé de découvrir cet homme aux facettes diverses et variées.
Et voilà qu'une canette défoncée arrivait aux pieds de Mats, celle-ci jetée par Archer. C'était un si gentil cadeau venant de sa part ... Dès qu'il s'éloignait du lieu, le jeune homme donna un coup de pied sur l'objet afin de le virer de la salle.
Encore des bancs à laver, le sol ainsi que les casiers. Géniale comme soirée, non ? Ouais magnifique. Mats espère juste finir avant le couvre-feu, oui, il espérait.
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